Économie solidaire: la source d'une nouvelle théorie économique
Delibérons ! ça fera avancer le délibéralisme
Delibérons ! ça fera avancer le délibéralisme
Chez Alice on aime bien Eric Dacheux il est professeur à l’Université Blaise-Pascal de Clermont Ferrand où il est responsable du groupe "Communication, innovation sociale et économie sociale et solidaire" il a écrit un bouquin avec son collegue Daniel GOUJON (qui est maître de conférences à l’université Jean Monnet de St Étienne (IUT de Roanne) Principes d’économie solidaire, Paris, Ellipses Marketing c'est clair et pédagogique, vous ajoutez un peu de Bernar Eme et de jean louis Laville est vous commencez à changer de logiciel économique , bonne lecture
ce texte est paru sur
http://www.huffingtonpost.fr/eric-dacheux/economie-solidaire-source-nousvelle-theorie-economique_b_6119964.html?utm_hp_ref=tetes-chercheuse
Comment sortir de la crise économique? De nombreux chercheurs s'interrogent et explorent de nouvelles pistes. C'est le cas de mes travaux synthétisés dans le livre Principes d'économie solidaire co-écrit avec Daniel Goujon. Ce livre se conclut sur la nécessité de changer radicalement notre façon de concevoir l'économie pour sortir de l'impasse actuelle. A l'encontre du libéralisme, cette nouvelle vision de l'économie (que nous nommons le délibéralisme) repose sur une idée simple: en démocratie, la meilleure façon d'allouer des ressources n'est pas la main invisible du marché, mais la délibération des différentes parties en présence. Le délibéralisme se fonde sur l'étude des expériences innovantes de l'économie solidaire: systèmes d'échanges locaux, monnaies sociales, etc.
La chute du mur ne marque pas la fin de l'histoire, mais souligne les faiblesses de notre système économique
La chute du mur de Berlin semblait affirmer le triomphe du marché autorégulateur. Mais la crise est passée par là. Elle rappelle non seulement les insuffisances du marché, mais réaffirme aussi le caractère profondément politique de l'économie. Le marché généralisé ne saurait être la "fin de l'histoire"; plus que jamais, le système économique de demain est à inventer. Quel sera-t-il? Personne ne le sait, mais beaucoup le souhaitent plus juste, plus démocratique, plus responsable. Dans cette perspective, l'économie solidaire offre de très sérieuses pistes de réflexion. Elle recouvre quatre spécificités:
- Un militantisme politique qui combat la globalisation économique en œuvrant pour une mondialisation de la solidarité
- Un ensemble de pratiques économiques qui dynamisent un territoire tout en s'affranchissant des mécanismes de l'offre et de la demande ou de la spéculation monétaire
- Un projet global de société, une utopie qui redonne l'espoir d'une société plus juste en proposant d'élargir (à la sphère économique) et d'approfondir (plus de participation) la démocratie
- Un nouveau modèle théorique qui repose sur l'idée que, dans une société de connaissances qui émerge, le meilleur facteur d'allocation des ressources n'est pas le marché, mais la délibération.
L'intérêt d'une étude approfondie de l'économie solidaire est donc de nous pousser à renouveler notre approche de l'économie
Tout comme Adam Smith, à son époque, découvrant les lois de marché à partir d'initiatives économiques innovantes (manufacture des épingles), il nous semble possible de s'appuyer sur les initiatives solidaires les plus novatrices pour faire émerger le principe qui les caractérise: la délibération. Ce terme est un concept-clef de la démocratie. La démocratie ne se réduit pas à une procédure: le vote des dirigeants. La démocratie se caractérise par l'existence d'un espace public où est débattu l'intérêt général. Or, la question de la production et de la répartition des richesses est, inévitablement, prise dans ce débat.
Cependant, dire que l'ordre économique est un constituant essentiel de la société démocratique ne signifie pas que société et ordre économique, démocratie et capitalisme, pour parler clair, ne font qu'un. Fernand Braudel, le plus célèbre des historiens, définit la société comme étant "l'ensemble des ensembles", un jeu d'alliances et d'oppositions entre des systèmes, ayant leur logique propre: l'économique, le politique, le symbolique. Intégrer dans l'analyse économique la dimension politique et symbolique, ce n'est pas simplement revenir à une économie politique chère aux classiques. C'est se donner les moyens de saisir la complexité du contexte (la société démocratique) dans lequel s'insère l'économie de nos sociétés.
Il ne s'agit donc pas de nier les particularités de l'économie, mais d'en proposer une nouvelle vision, une économie non plus séparée de la réalité démocratique, mais régie par le même mode de régulation: la délibération. En effet, la délibération, entendue comme construction de normes communes à travers la confrontation de points de vue différents portés par des acteurs égaux en droit, est déjà une réalité économique. On la retrouve, par exemple, dans la gestion des biens communs décrite par le prix Nobel Elinor Ostrom, dans l'émergence de la société de la connaissance (Wikipédia, par exemple) et, bien sûr, dans la plupart des initiatives de l'économie solidaire. Ce qui justifie le terme de délibéralisme que nous utilisons pour caractériser le modèle économique alternatif que porte en elle l'économie solidaire.
Le "délibéralisme": une nouvelle théorie
Partant d'un désir de participer au renouveau de la conceptualisation de l'économie, nos travaux (ceux de D. Goujon et moi-même) s'inscrivent dans ce que nous nous proposons d'appeler le "délibéralisme". Il s'agit d'un jeu de mots qui souligne que la liberté n'est pas l'apanage du libéralisme, qui marque la possibilité de construire un modèle théorique opposé au modèle libéral et qui inscrit notre démarche dans un cadre théorique interdisciplinaire où la délibération est comprise comme principe régulateur de l'économie des sociétés démocratiques. En effet, comme le montrent très bien les travaux de Jean-Louis Laville, co-inventeur du terme "économie solidaire", les initiatives solidaires, par la mise en œuvre "d'espaces publics de proximité", prouvent que la délibération collective constitue, au même titre que les arbitrages de marché ou la régulation étatique, un principe économique. Les initiatives solidaires démontrent la possibilité concrète de produire, distribuer et dépenser "autrement", en demandant leur avis aux différents acteurs, c'est-à-dire en assujettissant les variables économiques aux décisions émanant de la délibération collective.
En s'appuyant sur ces pratiques innovantes, il est possible, d'un point de vue théorique, de conceptualiser l'économie solidaire comme un nouveau modèle opposé à l'économie libérale (tableau
1) L'originalité de cette recherche tient au fait que le cadre théorique proposé n'est pas un cadre principalement économique, mais articule économie, politique et symbolique. Il ne s'agit pas de penser l'économie comme extérieure au social, mais comme devant être encastrée dans nos démocraties. Sortir de la crise n'est possible que si l'on sort d'une conception inadaptée de l'économie.