Sur médiapart Un Interview de Jean louis Laville qui a co-dirigeait avec Jose Luis Coraggio Les Gauches du XXIe siècle. Un dialogue Nord-Sud,aux editions du bord de l'eau, à lire en urgence
« Il n’y a pas d'alternative à gauche », martelait François Hollande le 17 mai dernier, dans un mélange de wishful thinking et de complexe de supériorité. Bien au contraire, répondent les auteurs d’un ouvrage aussi massif que collectif (vingt-huit auteurs et 490 pages) intitulé Les Gauches du XXIe siècle. Un dialogue Nord-Sud, publié en français par Le Bord de l’eau, après être paru en espagnol l’an dernier.
La spécificité de ce livre est en effet d’avoir été écrit à parts égales par des chercheurs et des penseurs européens et sud-américains. Issu d’un travail de près de dix ans, lancé lors du Forum social mondial, il ne constitue pas un objet homogène ni ne trace une ligne politique unique. Mais il entend montrer qu’en dépit du reflux des gauches qui ont accédé au pouvoir dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, même compte tenu des dérives autoritaires de l’Équateur ou de l’implosion politique et sociale du Venezuela par exemple, il y aurait là un “patrimoine” d’expériences à exploiter.
Manières de penser le monde, façons de conquérir le pouvoir et de l’exercer, politiques nationales ou initiatives locales… Du Brésil à la Bolivie, la volonté de transformation sociale qui s’est exprimée ces dernières années en Amérique du Sud peut fournir un répertoire d’exemples, voire de modèles, à une social-démocratie laminée et à une gauche exsangue pour ce qui concerne l’Europe. À condition de prendre aussi en compte certains échecs édifiants ou dérives inquiétantes, de ne pas croire qu’on peut décalquer facilement un continent sur l’autre, et d’inscrire les transformations nécessaires dans une perspective commune, qui ne sépare plus le destin du Sud de celui du Nord, à l’heure des ressources planétaires finies et de l’anthropocène.
La social-démocratie de l'après-Seconde Guerre mondiale avait pu dissimuler ses faiblesses endogènes derrière l'ampleur de l'expansion économique, mais ce n’est plus le cas. Pour les auteurs de l’ouvrage, la gauche européenne restera bloquée tant qu'elle demeurera pensée comme le produit d'une histoire identifiée au socialisme, où l'on aurait eu un socialisme utopique originel, ensuite divisé entre une branche bolchevique, sous la forme du socialisme scientifique, et une branche sociale-démocrate. On le constate facilement aujourd’hui : cette histoire, qui recouvre l'alternative entre révolution et réformisme, n’a pas été “réglée” par la chute d’un communisme laissant toute la place à une social-démocratie aujourd’hui déstabilisée en profondeur.
Repenser la présence d’un État qui ne soit pas simplement le retour à l’État providence, dont les ressorts technocratiques et westphaliens sont devenus obsolètes, faire ressurgir la mémoire et les pratiques de l'« associationnisme », « démarchandiser » les sociétés, en finir avec des formes de « fétichisme politique », permettre une pluralité institutionnelle et une diversité démocratique… Autant de pistes explorées par les auteurs de cet ouvrage, parce que, comme l’écrit l’économiste argentin José-Luis Coraggio, l’un des deux directeurs de l’ouvrage, « si le sens des nouvelles gauches est de protéger l'humanité du suicide collectif auquel la mondialisation capitaliste la conduit, cela suppose non seulement d'identifier les tâches politiques spécifiques de chaque réalité locale, mais aussi de lutter ensemble, Nord et Sud, contre les valeurs encore hégémoniques de capitalisme et de modernité, de colonialité et de patriarcat ».