«C’est un personnage des romans révolutionnaires de l’entre-deux-guerres», disait d’elle l’avocate Monique Antoine, ancienne présidente du MLAC. Mais pour les militant(e)s de l'Association Nationale des Centres d'Interruption de grossesse et de Contraception (ANCIC) ( http://www.avortementancic.net/) Maya Surduts, dont on vient d’apprendre le décès subit à l’âge de 79 ans, restera celle qui fut de tout les combats pour les droits des femmes à disposer de leur corps et en particulier l'avortement. Elle était de toutes les journées d'étude de l'ANCIC, de toutes les manifestations et chacun savait que lorsqu'elle prenait la parole, elle ne la lâcherait pas facilement, martelant les fers de la lutte révolutionnaire sous les yeux médusés de femmes et des hommes plus jeunes ou moins douées pour déployer leur gueuloir idéologique.
Mais qui savait que sa vie ressemblait à un récit picaresque du XXe siècle. Principalement connue pour être la porte-parole de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception, la Cadac, rassemblement d'associations, de syndicats, de partis politiques dont l'objectif commun est la défense du droit des femmes à disposer de leurs corps, créée en 1990 pour faire face aux actions commando contre les centres d'IVG, alors que la loi Veil de 1975 autorisant l'IVG est attaquée auprès du Conseil d'État comme étant contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales1. Maya Surduts est pourtant venue au féminisme sur le tard.
En septembre 1971, Maya se fait expulser de Cuba, après y avoir vécu pendant huit ans comme interprète et militante. Elle rejoint en France un groupe trotskiste nommé Révolution, dirigé par un ami connu à La Havane. Elle part haranguer de sa voix rauque les assemblées du MLAC (Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception). C'est la belle époque du féminisme. (extrait du portrait réalisé Par Philippe Lançon dans liberation en 1995 à l'occasion de la manifestation qui, avait à Paris, réuni 40.000 manifestants, sous l'égide de la Cadac et de nombreuses associations en faveur de l'avortement et de la contraception.)
Car l'Histoire vit l'un de ces retours de flamme qui semblent légitimer la militante à perpétuité: le droit des femmes à disposer d'elles-mêmes est remis en cause par un lobby catholico-intégriste. Pour mener dans les hôpitaux leurs actions de «commando», ses partisans emploient les méthodes des extrémistes pro-life américains: violences, coups médiatiques. Face à eux, Maya, cette membre de Ras l’front, qui était par ailleurs favorable à l’abolition de la prostitution, n’a jamais cessé de défendre le droit à l’IVG. Elle apparaît comme l'insubmersible. «Le féminisme est discrédité comme la révolution, souffle-t-elle, parce qu'il signifie une remise en cause profonde de la société. Les jeunes femmes n'ont pas suivi, parce qu'elles croient qu'elles ont tout; mais elles se trompent: les lois Pasqua, c'est Le Pen un peu beaucoup, et le lobby antiavortement et tout le reste, c'est aussi Le Pen un peu beaucoup...»
Maya n'a jamais reculé. Juive lettonne, de son vrai nom Merija, elle est née à Riga d'un père physicien et communiste. «Je n'ai jamais bien su ce qu'il faisait, explique-t-elle, car on pose toujours trop tard les bonnes questions.» Il fut, avant tout, une conscience. Sa mère, lituanienne, s’occupe d’enfants ayant des problèmes de déficience dans une association juive. La famille émigre en France en 1938, et, sous Pétain, passe en zone libre. Planque à Nice, puis dans une maison à la frontière italienne. «Les Allemands patrouillaient sur la route: je savais que si le bruit des bottes s'arrêtait, c'était fini. Ma résistance date sans doute de là.» Dénoncée, la famille parvient à se sauver. Maya est placée dans une famille, dans des foyers.. En 1938, la famille émigre en France, et, sous Pétain, passe en zone libre, à Nice. La famille est dénoncée à la Gestapo, mais parvient toutefois à fuir, jusqu’à ce petit village à la frontière italienne où là aussi, ils parviennent à échapper aux Allemands. Maya Surduts, qui avait cinq ans à peine, racontera en des mots très simples ce qu’elle a ressenti à cette époque: «Il y avait une chose que je savais, et qui m’a certainement marquée, c’est que si j’entendais les bottes qui passaient s’arrêter, c’était fini.»
En 1948, elle part avec sa mère rejoindre son grand-père, qui, comme beaucoup de Juifs baltes, s'est installé au Cap, en Afrique du Sud. «Ma première image fut une ombre et un verre de jus de fruit: un domestique silencieux qui nous servait à boire.» Dans les flambées de l'apartheid naissant, Maya milite au sein d'une organisation sioniste. «Je portais un chapeau de paille rose et j'allais à la synagogue. Mon grand-père était responsable de l'abattage religieux des animaux.» Son père est resté en France. Il travaille au CNRS. «Il n'était pas question, dit-elle, qu'il mette un pied au pays de l'apartheid.»
De retour en France, elle apprend le russe à l'école des langues orientales et commence à militer, en particulier pour le FLN. Après quelques heures d'interrogatoire au quai des Orfèvres, elle s'exile en Suisse, fait une école d'interprètes. «Je n'étais pas du tout féministe, explique-t-elle, je ne connaissais que des mecs.» La grande roue militante s'emballe en 1962, lors de son périple aux Etats-Unis. Membre d'une organisation antiraciste, elle évangélise les Noirs dans les plantations. «Nous ne bouffions que des pois chiches: tout l'argent était investi dans les voitures, qui devaient démarrer au quart de tour pour qu'on ne se fasse pas tirer dessus.»
Des Etats-Unis, elle tente de rejoindre Cuba, via le Mexique. Pour obtenir un visa, elle rencontre au flan l'écrivain diplomate Alejo Carpentier, de passage à Mexico. Il envoie bouler, avec courtoisie, cette bécassine d'ultragauche; mais elle s'obstine: «C'était l'époque où l'on pensait qu'il n'y avait pas de solution hors de Cuba.» Finalement, on lui donne un visa d'un mois. A La Havane, elle se rue chez le grand poète Nicolas Guillen, qui la traite d'aventurière au rabais; et, deux jours avant l'échéance, trouve un emploi de traductrice. Elle y restera huit ans.Maya ne serait pas Maya si elle n'avait pas fidèlement suivi le mode de vie révolutionnaire en vogue chez Castro: elle plante des agrumes et du café, entre dans la milice, fait son travail volontaire; mais aussi, elle gueule, proteste, exaspère et quand le régime se contracte, elle devient, peu à peu, l'une de ces épines trop vives qu'il s'agit d'ôter du pays. Son ami est dissident. «Je suis revenue en France en 1969, puis repartie là-bas, pour de mauvaises raisons: affectives...» A son retour, des amis sont arrêtés. Ceux qui passent chez cette muse en porte-voix: les poètes, les militants. Fin 1971, elle est expulsée, après avoir été retenue trois mois de force.Tout doucement, elle fait son éducation féministe. «J’ai commencé à me poser des questions. Pendant longtemps j’ai considéré que les femmes violées étaient des putes, qu’elles l’avaient bien cherché. J’adhérais totalement à l’idéologie dominante, à tous les lieux communs… Je ne suis pas née avec le féminisme», raconte-t-elle en 2013 dans un entretien accordé à Margaret Maruani et Rachel Silvera pour la revue Travail, genre et société.
L'aventure féministe commence, presque par hasard. Mlac, permanences antiviols, passages tonitruants par des groupuscules. C’est peu de dire qu’à l’époque, les relations entre groupes d’extrême gauche et groupes féministes étaient houleuses - en mai 1970, la première réunion féministe non mixte avait ouvert une polémique à l’université de Vincennes - les camarades masculins accueillent les filles de sonores et défiants «Le pouvoir est au bout du phallus». Maya Surduts, elle, entre au MLAC, et embrasse définitivement la cause des femmes. Elle connaît bien la question de l’avortement, pour l’avoir pratiqué à quatre reprises, en France, en Suisse, à Cuba et aux Etats-Unis, dont une fois avec une «faiseuse d’ange».
Maya-la-libertaire, sans enfants ni maris , a donc chaussé pour son nouveau combat de larges bottines vertes, comme des bottes de sept lieues. Elle a été membre de la Ligue communiste révolutionnaire: «Je fais ce que je veux. Tout le monde fait ce qu'il veut, au point où en sont les choses...». «Il faut lutter, dit-elle, et à moins d'être un génie, la lutte ne se fait pas en chambre.»
Pour mieux connaître les combats de Maya , on lira le livre qu'elle a écrit en collaboration avec Valérie Haudiquet, Nora Tenenbaum (coord.), Le droit des femmes à disposer de leur corps, Éditions Syllepse, 2015 Dans cet ouvrage, Maya et les co-auteures, membres de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (CADAC), restituent les réflexions et les mobilisations qui permettent aux femmes d’avancer dans la construction des rapports d’égalité entre les femmes et les hommes. En dépit d’indiscutables progrès, constatent elles, les femmes rencontrent des empêchements et des freins à la mise en pratique des droits acquis. Le combat des femmes pour le droit à disposer de leur corps est un combat permanent. Le droit à l’avortement est toujours fragile. En Espagne, il a bien failli ne plus exister. Aujourd'hui il est remis en cause en Pologne, sans les manifestations massives, les femmes de ce pays ne pourraient plus accéder à ce droit. Ce livre en fait le constat et ambitionne d’apporter des éléments de réponse. Faisant le constat des difficultés à faire progresser les droits des femmes, cet ouvrage collectif interroge les transformations sociales et les choix économiques, sociétaux et politiques qui sont faits. Interrogeant la réalité du droit à la contraception et à l’avortement, les auteures jettent un regard sur le système de santé actuel, victime des coupes budgétaires et des politiques néolibérales. Elles font également le constat que, malgré les progrès techniques, l’inégale répartition des structures et des moyens sur le territoire, sans oublier les disparités sociales, sont autant de freins à l’exercice de droits inscrits dans la loi.
Il est donc dans ce livre question de la politique de santé et des priorités qui sont décidées. Enfin, l Maya Surduts et les co-auteures observent combien le patriarcat reste dominant dans la société française et combien la culpabilisation des femmes face à l’avortement reste une arme aux mains des conservatismes. Si la progression des droits des femmes fait progresser l’ensemble de la société, il s’agit donc de poursuivre la conquête, aujourd’hui inachevée, du droit des femmes à disposer de leur corps et donc de leur vie, Maya la force de ton engagement et ta détermination vont nous manquer.