En 1940, dans un célèbre film, Orson Welles s’en prenait au « super-pouvoir » de « Citizen Kane » (en réalité, le magnat de la presse du début du XXe siècle William Randolph Hearst). Pourtant, comparé à celui des grands groupes mondiaux d’aujourd’hui, le pouvoir de Kane était insignifiant. Propriétaire de quelques journaux de presse écrite dans un seul pays, Kane disposait d’un pouvoir nain (sans être pour autant dépourvu d’efficacité à l’échelle locale ou nationale) face aux archipouvoirs des mégagroupes médiatiques de notre temps.
Que nous nous en réjouissions ou que nous le déplorions, la télévision est le plus grand phénomène culturel depuis la deuxième guerre mondiale, tous les français sont équipés d’un téléviseur et passent entre 2 et 3 heures par jours à regarder des programmes offerts par les moyens de diffusion hertziens, câblés, satellites ou ADSL, gratuits ou payants. Des dizaines de chaînes sont à notre disposition. Sport commercial, films très grand public et information de moins en moins pluraliste constituent l’essentiel de la programmation distribuée d’une façon centralisée depuis Paris, ou sont domiciliés l’essentiel des entreprises de diffusion et de fabrication. Ces chaînes appartiennent soit à l’Etat, soit à des entreprises industrielles françaises ou international dont l’objectif principal est le profit. Ce secteur représente un chiffre d’affaire en France et dans le monde, de premier plan, avec de nombreux emplois à la clef et un poids d’influence et de modélisation des esprits considérable. Enfants, jeunes, adultes quelques soient leur age ou leur catégorie sociale, se retrouvent tous devant le petit écran. Les progrès technologiques ont permis la diffusion de caméscope et de logiciel de montage dans de nombreux foyer au point qu’il est parfois impossible de regarder un paysage ou une manifestation culturelle sans être aveuglé par des bras tendus, prolongés par un caméscope.
Depuis 25 ans la communication audiovisuelle est libre en France, cela a eu un effet important sur la production radiophonique puisqu’il existe plus de 650 radios associatives locales, qui même si elles ont beaucoup de mal à fonctionner, sont dotées d’un fond de soutien de 24,5 M € qui contribue à l’installation, l’aide au matériel et au fonctionnement de ces radios. Les télévisions locales associatives, elles sont toujours quasi inexistantes, une cinquantaine pour toute la France, dans une des plus grands pays européens. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, dans ces déclaration tout du moins, reconnaissait par la voix de son président Dominique Baudis à la première université européenne des télévisions de pays et de quartier en Novembre 2001. « La vraie légitimité de la télévision locale associative, qui répond à l’exigence essentielle du pluralisme et qui ne peut que servir la démocratie de proximité et la vie dans la cité ». Aussi, le Conseil s’était- il « engagé » à porter une attention toute particulière à la création et au développement de ces jeunes télévisions et à leur confier de nouveaux espaces d’expression. ». La réalité est tout autre… Ce constat est familiers aux lecteurs de projection qui savent bien, que plus grave encore aucun dispositif réel d’éducation aux médias n’existent en France ni à l’intérieur de l’école ni dans l’éducation populaire qui a pourtant su remplir en d’autre temps, ce rôle essentiel dans de nombreux domaines de la vie culturelle.
Nous sommes de plus en plus nombreux, militants, artistes, techniciens de l’audiovisuels, téléspectateurs à travailler pour faire reconnaître les télévisions locales associatives et pour cela nous avons besoin d’un partenariat ouvert et résolu ; pour faire avancer l’idée que c’est en favorisant l’agir, le faire dans le domaine de la réalisation, de la conception de programmes, de l’éducation au média, c'est-à-dire à développer une certaine idée de l’homme dans le monde qui lui permet d’aller de plus en plus vers sa liberté, son autonomie, que nous agissons pour passer d’une influence subie de la télévision à une pratique maîtrisée ; afin qu’elle devienne c’est extraordinaire instrument d’éducation et de culture chargé d’informer, distraire et éduquer qu’elle n’aurait jamais du cesser d’être dans le service publique tout du moins.
Les grands manœuvres en cours pour l’attribution de canaux locaux de télévisions numériques terrestres sont une occasion pour tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire (association, SCOP, mutuel) de se regrouper afin de faire exister et reconnaître un véritable service public de télévision local qui permettra l’expression télévisuelle libre de tous (simple citoyen, syndicats, associations, partis politiques) en faisant vivre des espaces de débats et de confrontations, en permettant la diffusion d’œuvres documentaires et de fictions qui échappent aux règles de l’audimat et de la publicité, de créer de véritables espaces de recherche et d’expérimentation sur l’image, d’éducation aux médias et de diffusion culturel. Ce n’est pas un rêve depuis 25 ans des praticiens regroupés dans la Fédération des vidéos de pays et de quartiers, la Fédération des télévisions locales de service public et de nombreuses associations comme Kyrnéa (et d’autres moins connues) ont fait la preuve que ces pratiques d’éducation populaire étaient essentielles pour le bien commun. La télévision est un bien commun qui ne peut continuer plus longtemps à être confisqué par le seul commerce et le profit. Des ressources financières existent, trois conditions doivent être réunies : la diffusion gratuite des programmes émis par les télévisions locales de l’économie sociale et solidaire, leur financement par un fond alimenté par la taxation de la publicité diffusée par les télévisions et les radios commerciales et la reconnaissance par tous de l’urgence de construire d’une manière durable, une alternative, un troisième secteur de télévision local.
La promesse de la fin de la rareté des fréquences hertziennes, par la multiplication par cinq ou six des capacités de transport numérique, annonce une nouvelle étape majeure de l’évolution du secteur et l’approche d’échéances électorales décisives imposent à l’ensemble des acteurs de l’économie sociale et solidaire qu’ils agissent dans les domaines du cinéma, de la télévision de la presse, de la culture et de l’éducation de se regrouper pour porter ce débat sur la place publique afin de mobiliser nos futurs élus et les télespectat-électeurs pour la reconnaissance de moyens réels pour les télévisions locales.
François Bernard
Président
du Conseil d'Administration
de la Télévision Locale de Châteauroux